28 mars, 2013

Notes sur l'endroit. 28 mars 2013.



Je regarde les derniers messages postés et je me rends compte que le temps qui les sépare est toujours de plus en plus long. 

Je ne suis pourtant pas inactif, je l'assure ! Sismographier se cherche. Cherche à changer d'orientation. Il vieillit (le premier message date du 02/06/11). L’influence y a toujours été régulière (ce fut souvent encourageant et je vous remercie !). Mais les choses demandent à changer. 

Je vais en parler.

Je suis beaucoup occupé en ce moment, c'est peu dire : entre mes affaires personnelles (ce qui est normal et commun), des projets à trois mains (Bêta), mes études (qui sont aussi des travaux d’écriture sur l’écriture des autres) et des démarches plus personnelles (que ce soit dans ma tête, sur mon bureau ou sur internet).

Sur internet d'ailleurs (puisque nous y sommes), je suis là, ici : Je personne.

C'est un espace sur lequel j'expérimente la phrase de rien, le silence en série, le découpage par séquence, le cliché, l'attention et la précision du lexique, la répétition, la fiction du rien, l'étirement du rien, la désindividuation. Tout ce qui permet d'atteindre une insignifiance quelconque.

Je poste quelque chose une fois tous les deux jours. Cela prend du temps dans mon activité d'écriture sur le net mais j'ai décidé de lancer ce projet car il correspondait davantage à ce que j'attendais, à l'heure actuelle, du format numérique qu'internet m'offre. Il me permet d'utiliser à plein les ressources de la mise à jour ; et il constitue une expérience sur le long terme, qui progresse, se cherche, s'interroge au fur et à mesure qu'elle se construit. C'est une expérience vraiment stimulante qui nécessite un travail rigoureux, filé, buté.

Ici, je ne sais plus quoi publier.

Je me rends vite compte que le problème du blog à articles est le même que celui du recueil de poèmes : à l'intérieur de ces ensembles là, on ne peut mettre que des choses qui fonctionnent déjà toutes seules. On peut les mettre ensemble mais c’est pour faire du contenu. Mais moi je n'arrive pas, la plupart du temps. Ce que je fais s'étire, je n’y arrive pas autrement.

Un paragraphe comme ça, c'est trop dur de le faire parler tout seul, sur la page.

Je n'ai pas envie que cet endroit devienne un espace d'actualités personnelles. J'aimerai réfléchir à ce qu'il pourrait accueillir.

Ce que je lis, ce que je vois, ce que je fais, ce que j'aime, ce que je critique, ce que je prends avec un appareil numérique (documentaire), ce que je regarde, ce que j'oublie, pourraient y prendre place un peu plus. Cela demanderait d’abolir les catégories qui sont déjà en place, les abandonner sinon, pour trouver un autre mouvement pour les choses. Plus linéaire.

Et changer l'endroit, car il ressemble de plus en plus à une anthologie de jeunesse : je ne me reconnais plus dans les titres (je n’ai jamais fait de voile, de bateau), dans les sections, dans certaines approches - et pire, le support - à moins que je ne devienne calculateur (mais) tout reste là, au stade d'archives. Je peux voir ce que je n’aime pas voir à n’importe quel moment et c’est assez peu agréable. 

Je préférerai travailler sur des archives plutôt que de voir les miennes s'entasser.

Dans tous les cas, ce remodelage prendra un certain temps. Mais dans tous les cas, je resterai sur une régularité moins dense que celle de "Je personne". Un article toutes les semaines, un article toutes les deux semaines, un article par mois. Je ne sais pas.

Je vais voir car à l’heure actuelle, je n’y vois rien.

Peut-être que la rentrée prochaine verra cet espace renaître aussi car des déserts de silence s'annoncent (je ne sais pas si c’est une métaphore, c’est assez joliment dit, je l’avoue).

En attendant, cet endroit est une friche.

20 mars, 2013

E. Hocquard - Abécédaire TLMSR.



"Nous vivons tous avec l’idée reçue – avant même l’école primaire - que la grammaire (le squelette de la langue), comme la Loi, doit être la même pour tous et qu’elle est immuable. Nul n’est censé l’ignorer et tout manquement à ses règles est sanctionné comme une faute grave. La grammaire dit : « Tout le monde se ressemble. » Nous la ‘’respectons’’ comme un monopole d’Etat, jusque dans les aspects les plus anodins et les plus intimes de notre vie. Ses lois régissent nos manières de parler et d’écrire, de lire et d’écouter. Mais aussi le ton et le débit de notre parole. Cette musique grammaticale, nous la percevons même dans les langues qui nous sont totalement étrangères, lorsque nous les entendons parler, même quand le sens de ce qui se dit nous échappe.

Pourtant on peut se poser des questions. Par exemple, pourquoi la grammaire d’un bègue devrait-elle être la même que celle de quelqu’un qui ne bégaie pas ? Parce que, rétorquera-t-on, la norme est de ne pas bégayer. Et si, précisément, le bégaiement était une manière de désobéissance, de résistance aux mots d’ordre de la grammaire imposée ? Gilles Deleuze dit qu’écrire c’est bégayer dans sa langue. En cela bégayer serait aussi un comportement politique. Claude Royet-Journoud demandait si un asthmatique a la même syntaxe qu’un non-asthmatique (Proust, par exemple, ses longues phrases). Etc."

Entrée Grammaire, préface de l'anthologie Tout le monde se ressemble, P.O.L, 1995 - par Emmanuel Hocquard.